La fourmi mène l’éléphant par le bout de la trompe
Denis Delbecq
L’éléphant se moque des épines mais déteste les morsures. (Getty)
Les éléphants dévorent les arbres de la savane kényane sans rencontrer de résistance. A part celle d’une fourmi, hôte d’une espèce d’acacia, dont la morsure les terrorise
C’est une histoire étonnante qu’on aimera raconter aux enfants. Dans la savane du Kenya, une minuscule fourmi terrorise les éléphants. Elle est même devenue l’ange gardien de l’espèce d’acacia qui l’héberge, expliquent deux chercheurs dans la revue Current Biology du 28 septembre. La fourmi serait-elle la reine de la savane?
Todd Palmer et Jacob Goheen ont de la suite dans les idées. En 2008, avec d’autres collègues, le duo avait eu les honneurs de la prestigieuse revue Science, en constatant que la raréfaction de l’éléphant dans certaines régions de la savane africaine avait, en moins de dix ans, entraîné la régression de l’acacia A. drepanolobium, ainsi que des espèces de fourmis qu’il héberge. L’équipe soupçonnait ces insectes de participer au système de défense de l’arbre contre les éléphants. Face à un affaiblissement de la menace, l’acacia serait devenu moins accueillant pour ses hôtes, qui le protègent aussi contre d’autres agresseurs. Cette fois, Palmer et Goheen apportent la preuve de ce qu’ils avancent: la fourmi est bien un cerbère capable d’éloigner un animal trois cents millions de fois plus lourd qu’elle!
On connaît depuis longtemps le rôle des fourmis dans la protection des arbres qui les hébergent. Très agressives, elles se précipitent sur tous les insectes qui viennent se repaître du feuillage. En échange, l’arbre fournit le gîte – un renflement à la base des épines dans le cas de l’acacia drepanolobium – et le couvert. Pour Palmer et Goheen, pas de doute: la fonction de vigile s’étend à la protection contre l’éléphant, dont l’intérieur de la trompe renferme des muqueuses particulièrement sensibles. Ils ont conduit une série d’expériences, proposant notamment aux éléphants des repas faits de branchages infestés de fourmis et d’autres de la même espèce mais vierges de tout animal à six pattes. Verdict: le grand herbivore déteste les morsures, mais se moque des épines! En revanche, l’acacia n’aurait pas besoin des fourmis pour se protéger des girafes et des antilopes. «Lorsque ces animaux se nourrissent, le contact avec les branchages est beaucoup plus bref que dans le cas des éléphants», explique Jacob Goheen. De plus, les épines sont efficaces.
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